L’origine du « Rayon vert de la Cathédrale de
Strasbourg » se situe au cours de la période allant de 1969 à 1972.
Origine du phénomène
du rayon vert
de la Cathédrale
de Strasbourg
par Louis TSCHAEN
De nos jours, aux alentours des
équinoxes de printemps et d’automne, si
le soleil est au rendez-vous, se
manifeste dans la cathédrale de
Strasbourg un curieux phénomène optique.
On peut alors, à environ une heure avant midi moyen local, voir une
tache lumineuse (spot) verte passer un peu au-dessus du centre du crucifix de la chaire.
Ce phénomène est dû aux rayons du soleil qui
traversent une pièce de verre de couleur verte sans patine du vitrail
représentant le pied gauche d’une figure se trouvant au triforium méridional et
plus précisément dans la deuxième
fenestrelle de la IVe travée. La figure en question représente Juda, fils de Jacob, qui est,
selon l’Evangile de Luc. (3. 34), un
ancêtre du Christ
Un esprit curieux va évidemment se demander si ce phénomène lumineux exceptionnel est le fruit d’une intention de la part d’un
verrier ou s’il est dû au hasard d’une
réparation du vitrail. Pour essayer de répondre à ces questions il convient de
retracer l’historique des vitraux qui ont occupés cette fenestrelle au cours
des 750 dernières années.
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Il est vraisemblable qu’à
l’achèvement de la nef
au cours de la deuxième moitié du
XIIIe siècle, les baies du triforium méridional
réalisées vers 1250 en face du futur
emplacement de la chaire ont été équipées par des vitraux à ornements de
fleurs. Ces vitraux furent peut-être éprouvés par les incendies qui eurent lieu
dans la nef en 1298 et en 1384.
Vers la fin du XVe siècle, la
chaire de style gothique flamboyant a
été installée dans la nef de la cathédrale.
Elle a été sculptée par Hans Hammer et était destinée au célèbre
prédicateur moraliste Geiler de Kaysersberg. Elle a été installée en 1485 à
l’endroit qu’elle occupe encore de nos jours.
En 1666, Jean - Georges Heckheler, maître d’œuvre de
la cathédrale, a fait un inventaire des vitraux de la cathédrale. Mais, il ne donne aucune précision sur la
composition des vitraux des IIIe et IVe travées du triforium méridional situés en face de
cette chaire installée quelque deux siècles plus tôt.
Vers la fin du XVIIe siècle,
suite à l’accord du 8 juillet 1682 entre
J.-G. Heckheler et l’évêque de
Strasbourg Guillaume Egon de
Furstenberg, on remplaça les deux panneaux inférieurs des vitraux du triforium méridional par des panneaux de verre incolore afin de
mieux éclairer l’intérieur de la cathédrale. Plus tard, afin de la rendre moins
claire, ces nouveaux panneaux incolores dont l’éclairage pouvait déranger un
prédicateur sur la chaire, ont été couverts
d’une peinture à l’huile ou par
un badigeon à la chaux.
En 1843, Louis Schneegans,
archiviste de la ville de Strasbourg, et
Joseph Klein, peintre d’histoire,
ont été chargés de dresser un
inventaire des vitraux peints de la Cathédrale. En ce qui concerne le premier vitrail de la IVe
travée du triforium méridional occupé
actuellement par les figures de Jacob et Juda, ancêtres du Christ, ils ont constaté que les deux panneaux
inférieurs étaient constitués de verres incolores recouverts d’un badigeon à la
chaux, que les deux panneaux d’ogive
étaient composés de verres noircis et de morceaux étrangers à dessin
effacé et que dans le médaillon figurait un trèfle.
De 1848 à 1850, suite à une
intervention de Gustave Klotz, architecte de l’Oeuvre Notre-Dame auprès du
maire de Strasbourg, les verrières du triforium méridional ont été
remaniées par les maîtres verriers
Ritter et Baptiste Petitgérard en
appliquant le principe de conservation. Elles ont ainsi été restituées et complétées par des panneaux à fleurs semblables à ceux qui existent encore
de nos jours dans la VIe travée du triforium méridional. Mais dès
1848, avant même que fut entreprise cette restitution, certaines personnalités
dont l’abbé Guerber étaient d’avis qu'il fallait plutôt compléter au triforium méridional la généalogie du Christ selon Luc (3,23-30),
dont la première partie figurait
déjà au côté nord.
Aussi de 1873 à 1875, les vitraux à motifs floraux, installés une vingtaine
d’années plutôt, ont-ils été enlevés et remplacés par des vitraux représentant
des personnages en pied de la généalogie ascendante du Christ, de Méléa à Dieu selon
l’évangile de Luc (3,31 – 38)
conformément à la
Vulgate Clémentine, qui faisait autorité à cette époque. Les
travaux correspondants ont été, sur la base des cartons dessinés par Louis
Steinheil, peintre d’histoire,
exécutés par Pierre Petitgérard,
fils de Baptiste, et Ferdinand Hugelin.
La deuxième fenestrelle de la
IVe travée méridionale comportait alors la figure qui porte comme inscription « Qui fuit Juda », ce qui
signifie « fils de Juda ».
Mais en fait les artistes pensaient bien y représenter Juda, fils de Jacob. Il
convient de signaler que curieusement ce personnage porte son regard vers l’oculus circulaire du
vitrail, qui pourrait bien représenter le soleil, et relève légèrement de la main gauche sa
robe pour bien dégager son pied gauche
qu’il montre de l’index de la main droite. Ce vitrail a été réceptionné le 8
août 1875 par Gustave Klotz, architecte de l’Oeuvre Notre Dame.
Puis , en 1896, l’entreprise Ott Frères a été chargé
de la restauration
des vitraux du triforium
méridional consistant à faire une nouvelle mise en plomb en réutilisant tous le anciens verres, même ceux qui étaient
cassés et en les complétant avec du verre antique.
Au
début de la dernière guerre mondiale en septembre 1939, la plupart des vitraux de
la cathédrale furent déposés. Mis en caisse ils furent envoyés à la Préfecture du
Département de la Dordogne
et finalement mis en sécurité dans le château de Hautefort.
En
automne 1940, après la défaite de l’armée française, les vitraux furent
réclamés par les autorités occupantes allemandes. Ils furent ensuite ramenés à
Strasbourg et ont été mis en dépôt dans
la crypte et les chapelles de la
Cathédrale, dans les
caves du Lycée Fustel de Coulanges voisin, dans le Grand Séminaire et dans les
maisons de l’Oeuvre Notre-Dame.
En
1941, la direction intérimaire des Musées a fait effectuer un relevé
archéologique et photographique des verrières. Malheureusement la collection
correspondante des photographies a disparu et est actuellement introuvable. Toutefois, il est
possible qu’elle existe encore en étant
conservée dans les archives d’une
administration allemande.
.
Le 11 août 1944, la ville de Strasbourg a été
bombardée par l’aviation américaine. Les bombes ont atteint la tour de croisée, ainsi que le bas-côté nord de la Cathédrale
et ont touché les immeubles de l’œuvre
Notre-Dame près de la place du Château
et son magasin situé dans l’impasse des Trois-Gâteaux où étaient entreposés les anciens panneaux
ornementaux du triforium méridional.
Après
ce bombardement, les autorités allemandes décidèrent de transférer les vitraux
dans les galeries d’une mine de sel à Heilbronn en Allemagne. Le transfert par
camion a eu lieu les 16 et 22 novembre 44, quelques jours avant la libération
de Strasbourg par les troupes du général Leclerc de Hauteclocque.
Après
la fin de la guerre, en septembre 1945, les caisses contenant les verrières ont
été récupérées dans la zone d’occupation américaine en Allemagne par les
autorités françaises et ramenées à
Strasbourg. Puis vers 1946 et avant leur
restauration et réinstallation, les panneaux de chaque vitrail, en particulier
ceux du triforium méridional, furent photographiés pour le compte de
l’administration centrale du Service des Monuments Historiques par l’entreprise
Taon. Les clichés correspondants sont actuellement conservés aux archives
photographiques des Monuments Historiques au Fort St Léger au Bois d’Arcy. Les
photographies relatives à la IVe travée du sud y portent
les numéros MH 1947 302322 à
302345 et celles qui se rapportent à la
figure de Juda les numéros MH 1947
302325 à 302327.
Certains
panneaux, dont ceux du vitrail de Juda furent, après leur restauration par la Maison Ott Frères, une nouvelle
fois photographiés par Riotte entre 1947 et 1950. Les clichés
correspondants non numérotés sont
actuellement conservés au Service Départemental de l’Architecture du Bas-Rhin
dont les bureaux se trouvent dans le Palais du Rhin à Strasbourg.
Il
est à remarquer que les photographies ainsi effectuées du panneau inférieur du
vitrail de Juda portent toutes la trace
du cou-de-pied gauche. Ce détail permet de conclure et d’affirmer que ce
vitrail est donc toujours muni du verre original patiné de ce pied.
Vers 1950, l’année exacte n’ayant pas pu être déterminée, les vitraux restaurés du triforium furent reposés par la Maison Ott Frères. Lors de la réinstallation des vitraux des interversions se sont produites. Mon étude comparative (publiée dans le Bulletin de la Cathédrale de Strasbourg XVIII, Strasbourg 1988) de la disposition actuelle avec la suite des ancêtres du Christ selon l’Evangile de Luc (3,23-38) conformément à la Vulgate Clémentine a permis de localiser ces interversions. Elles affectent plus du tiers de ces vitraux. Mais (heureusement) elles ne concernent aucunement les vitraux de la IVe travée du triforium méridional et en particulier pas la position actuelle du vitrail de Juda, dont le pied gauche est à l’origine du rayon vert équinoxial.
Vers 1950, l’année exacte n’ayant pas pu être déterminée, les vitraux restaurés du triforium furent reposés par la Maison Ott Frères. Lors de la réinstallation des vitraux des interversions se sont produites. Mon étude comparative (publiée dans le Bulletin de la Cathédrale de Strasbourg XVIII, Strasbourg 1988) de la disposition actuelle avec la suite des ancêtres du Christ selon l’Evangile de Luc (3,23-38) conformément à la Vulgate Clémentine a permis de localiser ces interversions. Elles affectent plus du tiers de ces vitraux. Mais (heureusement) elles ne concernent aucunement les vitraux de la IVe travée du triforium méridional et en particulier pas la position actuelle du vitrail de Juda, dont le pied gauche est à l’origine du rayon vert équinoxial.
Puis,
aux alentours de l’un des équinoxes de 1971 ou plutôt de 1972, Maurice Rosart,
ingénieur géomètre ENSAIS, qui était à
la recherche de curiosités optiques dans la cathédrale, a observé (pour la
première fois) le phénomène équinoxial du rayon vert sur la chaire. Il a notamment constaté qu’aux
alentours de l’un des deux équinoxes annuels et vers la
fin de la matinée, le Christ du
crucifix situé à l’avant de la chaire
était pendant une courte période de quelques minutes éclairé par une lumière verte. Il garda longtemps secrète sa
découverte. Tout au plus la partagea-t-il avec quelques amis. Mais, il ne la rendit publique que le 12 juin 1984 au cours d’une conférence
prononcée à la Chambre Patronale des
Industries du Bas-Rhin à Strasbourg.
Suite
à cette conférence, à laquelle nous n’avons d’ailleurs pas pu assister, et
après un entretien avec M. Rosart, nous avons décidé d’analyser ce phénomène
lumineux pour en déterminer ses périodes de visibilité et aussi de rechercher son origine. Dans ce
but nous avons fait déterminer par Materne. Wolf, ingénieur géomètre ENSAIS (1980)
en service à la CUS,
la position topographique des points intervenant dans le phénomène, notamment
du centre du crucifix de la chaire et de celui du pied de Juda, afin de pouvoir
calculer leurs coordonnées géographiques qui sont nécessaires aux calculs
des périodes de leur ensoleillement.
Par
ailleurs Maurice Rosart essaya d’avoir l’opinion d’un maître verrier au sujet
de la pièce de verre qui est à l’origine du phénomène. Il tenta aussi d’avoir une opinion aussi
large que possible à son sujet et essaya d’organiser une réunion de
spécialistes qui fut fixée au 5 février
1985 en fin d’après-midi. La majeure partie des invités ne donna aucune suite à son
invitation. L’architecte de l’Oeuvre Notre Dame s’étant excusé pour des
raisons d’indisponibilité, seul le
maître verrier M. Hubert Wehr de Haguenau s’était dérangé pour examiner sur place
le vitrail et le verre qui est à
l’origine du phénomène. Un examen du
vitrail a eu lieu d’une part à l’extérieur
à partir de la toiture du bas-côté sud et d’autre part à l’intérieur à
partir de la galerie du triforium. Voici
le jugement du maître verrier: le verre représentant le pied gauche de
Juda est un verre antique soufflé teinté de vert dans la masse et non patiné d’origine récente. Ayant trouvé des traces de
mastic blanc de vitrier et des bords de profilé de sertissage non arrondis mais anguleux, il a conclu que c’est sur place que
le nouveau verre a été introduit dans le panneau.
Quelques
années plus tard nous avons été informé que
Kader Sönmez Alemdar avait été chargé
dans le cadre d’un contrat d’étude de faire un inventaire analytique des
archives relatives aux travaux effectués sur la cathédrale. Le rapport résultant est intitulé :
« Bilan des travaux exécutés du XVe siècle à nos jours sur la Cathédrale
de Strasbourg par le Service des Monuments Historiques, l’Œuvre Notre Dame et
la Fabrique de la Cathédrale. Novembre 1990. »
Nous
avons ainsi appris qu’en 1969, avait
été entrepris des travaux de
restauration des vitraux du triforium méridional. L’opération a fait l’objet
d’un métré des travaux qui a été déposé au Archives Départementales du Bas-Rhin sous la cote W 1118/187. Les travaux ont concerné 28 pièces et autant de pièces
peintes provenant de 6 vitraux différents portant les numéros 51 à 56.
Ils ont été effectués en février 1969 et ont été réglés le 11.9.69 par la somme
de 2055 francs, Cette opération a très probablement été supervisée par Fernand
Guri, architecte des Bâtiments de France à cette époque, et a été effectué par
Lucien Schaeffer, maître verrier, et Frédéric Bangratz, peintre sur verre, que
nous avons eu l’occasion de contacter ultérieurement vers 1985. Mais ils ne se
souvenaient plus de cette opération. Toutefois le maître verrier, à la vue du
verre représentant le pied de Juda à cette époque-là, a conclu qu’il ne
s’agissait là pas d’un travail de verrier, mais plutôt de
celui d’un simple vitrier.
En
2010 Alain Barth de Wissembourg intéressé par les vitraux de la cathédrale a effectué plusieurs
recherches photographiques, en
particulier sur les vitraux du triforium
dont l’un est
à l’origine du phénomène du rayon vert. Il a ainsi eu
l’occasion de photographier la fenestrelle de Juda et le cliché correspondant fait
apparaître le numéro 54 tracé à
la craie grasse sur le genou droit du
personnage.
Donc,
ce vitrail a, en 1969, effectivement
fait l’objet d’une restauration,
qui, elle aussi, a dû être contrôlée par
l’architecte des Bâtiments de France avant le règlement de la facture
correspondante. Ce vitrail était donc à ce moment très probablement encore équipé
du verre patiné d’origine du pied gauche de Juda.
On peut donc en conclure, que c’est entre le début de l’année 1969 et de le fin de l’année 1971 ou 1972, période pendant laquelle Maurice Rosart a découvert le phénomène du rayon vert, que le verre d’origine du pied gauche a été remplacé in situ par un verre de couleur verte et non patiné.
On peut donc en conclure, que c’est entre le début de l’année 1969 et de le fin de l’année 1971 ou 1972, période pendant laquelle Maurice Rosart a découvert le phénomène du rayon vert, que le verre d’origine du pied gauche a été remplacé in situ par un verre de couleur verte et non patiné.
Il
en résulte tout un ensemble de questions dont il s’agit de trouver les réponses pour résoudre l’énigme de l’origine
du rayon vert. Pour quelle raison le verre d’origine a-t-il été remplacé ?
A-t-il été cassé ? Quel est le verrier ou plutôt « le vitrier » qui a procédé à ce
remplacement ? Comment ce vitrier a-t-il pu disposer des clefs nécessaires pour
accéder à la galerie du triforium ? Qui a réglé les frais de cette
intervention ? Les réponses on les trouvera peut-être dans les comptes du conseil de fabrique.
Aussi
avons-nous contacté le 15.5.15 l’intendant de la fabrique de la cathédrale, Patrick Fuchs, en
lui demandant de bien vouloir faire effectuer les recherches nécessaires dans
les archives comptables. Le 8.6.15, il nous a fait savoir que l’on n’y a trouvé
aucune trace d’une telle intervention. Mais, il pense qu’il est possible
que ce soit l’Etat qui a pris en charge ces travaux.
Toutefois
un mystère subsistera : c’est celui de l’attitude de la figure de Juda conçue vers 1870 par le réalisateur du carton du vitrail, Louis Steinheil. En effet, ce personnage est le seul des 76
ancêtres du Christ figurant au
triforium qui porte ostensiblement son
regard vers le médaillon circulaire du vitrail pouvant représenter le soleil et,
comme s’il voulait attirer l’attention du visiteur, soulève légèrement sa robe
de la main gauche pour bien dégager le pied gauche, qui est à l’origine du
rayon vert .et qu’il montre avec l’index de la main droite.
C’est pourquoi Maurice Rosart, le découvreur du rayon vert, pense que le phénomène de la lumière verte de la cathédrale de Strasbourg est dû à une intention bien précise du dessinateur du carton du vitrail ou de quelqu’un de son entourage, par exemple l’architecte de l’Œuvre Notre-Dame* qui dirigeait les travaux et qui était membre de la loge « Les Frères Réunis » du Grand Orient de France à Strasbourg.
C’est pourquoi Maurice Rosart, le découvreur du rayon vert, pense que le phénomène de la lumière verte de la cathédrale de Strasbourg est dû à une intention bien précise du dessinateur du carton du vitrail ou de quelqu’un de son entourage, par exemple l’architecte de l’Œuvre Notre-Dame* qui dirigeait les travaux et qui était membre de la loge « Les Frères Réunis » du Grand Orient de France à Strasbourg.
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