samedi 2 mars 2013

R - "Origine du phénomène du rayon vert de la Cathédrale de Strasbourg"



L’origine du  « Rayon vert de la Cathédrale de Strasbourg » se situe au cours de la période allant de  1969 à 1972. 

 Origine du phénomène du rayon vert

  de la Cathédrale de Strasbourg

par Louis TSCHAEN


De nos jours, aux alentours des équinoxes de printemps  et d’automne, si le soleil est au rendez-vous,   se manifeste  dans la cathédrale de Strasbourg un curieux phénomène optique.    On peut alors, à environ une heure avant midi moyen local, voir une tache lumineuse (spot) verte passer un peu au-dessus  du centre du crucifix de la chaire.

Ce  phénomène est dû aux rayons du soleil qui traversent  une pièce de verre  de couleur verte sans patine du vitrail représentant le pied gauche d’une figure se trouvant au triforium méridional et plus précisément dans la deuxième  fenestrelle de la IVe travée. La figure en question  représente Juda, fils de Jacob, qui est, selon  l’Evangile de Luc. (3. 34), un ancêtre du Christ

Un esprit curieux va  évidemment se demander si  ce phénomène lumineux exceptionnel  est le fruit d’une intention de la part d’un verrier ou  s’il est dû au hasard d’une réparation du vitrail. Pour essayer de répondre à ces questions il convient de retracer l’historique des vitraux qui ont occupés cette fenestrelle au cours des  750 dernières années.
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Il est vraisemblable qu’à l’achèvement  de la  nef   au  cours de la deuxième moitié du XIIIe siècle,  les baies du triforium méridional réalisées vers  1250 en face du futur emplacement de la   chaire ont été  équipées par des vitraux à ornements de fleurs. Ces vitraux furent  peut-être   éprouvés par les incendies qui eurent lieu dans la nef en 1298 et en 1384.

Vers la fin du XVe siècle, la chaire de style gothique flamboyant  a été installée dans la nef de la cathédrale.  Elle a été sculptée par Hans Hammer et était destinée au célèbre prédicateur moraliste Geiler de Kaysersberg. Elle a été installée en 1485 à l’endroit qu’elle occupe encore de nos jours.

En 1666,  Jean - Georges Heckheler, maître d’œuvre de la cathédrale, a fait un inventaire des vitraux de la cathédrale.  Mais, il ne donne aucune précision sur la composition  des vitraux des   IIIe et IVe travées  du triforium méridional situés en face de cette chaire installée quelque deux siècles plus tôt.

Vers la fin du XVIIe siècle, suite à  l’accord du 8 juillet 1682 entre J.-G. Heckheler et l’évêque  de Strasbourg Guillaume  Egon de Furstenberg, on remplaça les deux panneaux inférieurs  des vitraux du triforium méridional  par des panneaux de verre incolore afin de mieux éclairer l’intérieur de la cathédrale. Plus tard, afin de la rendre moins claire, ces nouveaux panneaux incolores dont l’éclairage pouvait déranger un prédicateur sur la chaire,  ont été  couverts   d’une peinture à l’huile ou  par un badigeon  à la chaux.

En 1843, Louis Schneegans, archiviste de la ville de Strasbourg, et  Joseph Klein, peintre d’histoire,  ont  été chargés de dresser un inventaire des vitraux peints de la Cathédrale.   En ce qui concerne le premier vitrail de la IVe travée du triforium  méridional occupé actuellement par les figures de Jacob et Juda, ancêtres du Christ,  ils ont constaté que les deux panneaux inférieurs étaient constitués de verres incolores recouverts d’un badigeon à la chaux, que les deux panneaux d’ogive  étaient composés de verres noircis et de morceaux étrangers à dessin effacé et que dans le médaillon figurait un trèfle.

De 1848 à 1850, suite à une intervention de Gustave Klotz, architecte de l’Oeuvre Notre-Dame auprès du maire de Strasbourg, les verrières du triforium méridional ont été remaniées  par les maîtres verriers Ritter et Baptiste Petitgérard en  appliquant le principe de conservation. Elles ont ainsi été restituées  et complétées par des panneaux à  fleurs semblables à ceux qui existent encore de nos jours dans la VIe  travée du triforium méridional. Mais dès 1848, avant même que fut entreprise cette restitution, certaines personnalités dont l’abbé Guerber étaient d’avis qu'il fallait plutôt  compléter au triforium méridional  la généalogie du Christ selon Luc (3,23-30), dont la première  partie figurait déjà  au côté nord.


 
Aussi  de 1873 à 1875, les vitraux  à motifs floraux, installés une vingtaine d’années plutôt, ont-ils été enlevés et remplacés par des vitraux représentant des personnages en pied de la généalogie ascendante  du Christ, de Méléa à Dieu selon l’évangile  de Luc (3,31 – 38) conformément à la Vulgate Clémentine, qui faisait autorité à cette époque. Les travaux correspondants ont été, sur la base des cartons dessinés par Louis Steinheil, peintre d’histoire,  exécutés  par Pierre Petitgérard, fils de Baptiste, et Ferdinand Hugelin.  La deuxième fenestrelle de la IVe travée méridionale comportait  alors la figure qui porte  comme inscription  « Qui fuit Juda », ce qui signifie  « fils de Juda ». Mais en fait les artistes pensaient bien y représenter Juda, fils de Jacob. Il convient de signaler que curieusement ce personnage  porte son regard vers l’oculus circulaire du vitrail, qui pourrait bien représenter le soleil,  et relève légèrement de la main gauche sa robe  pour bien dégager son pied gauche qu’il montre de l’index de la main droite. Ce vitrail a été réceptionné le 8 août 1875 par Gustave Klotz, architecte de l’Oeuvre Notre Dame.

Puis ,  en 1896, l’entreprise Ott Frères   a   été   chargé  de  la  restauration   des   vitraux  du  triforium méridional consistant à faire une nouvelle mise en plomb en réutilisant  tous le anciens verres, même ceux qui étaient cassés et en les complétant avec du verre antique.
Au début de la dernière guerre mondiale en septembre 1939, la plupart des vitraux de la cathédrale furent déposés. Mis en caisse ils furent envoyés à la Préfecture du Département de la Dordogne et finalement mis en sécurité dans le château de Hautefort.

En automne 1940, après la défaite de l’armée française, les vitraux furent réclamés par les autorités occupantes allemandes. Ils furent ensuite ramenés à Strasbourg et  ont été mis en dépôt dans la crypte et les chapelles de la Cathédrale,  dans les caves du Lycée Fustel de Coulanges voisin, dans le Grand Séminaire et dans les maisons de l’Oeuvre  Notre-Dame.

En 1941, la direction intérimaire des Musées a fait effectuer un relevé archéologique et photographique des verrières. Malheureusement la collection correspondante des photographies a disparu et est  actuellement introuvable. Toutefois, il est possible qu’elle existe  encore en étant conservée  dans les archives d’une administration  allemande.
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 Le 11 août 1944, la ville de Strasbourg a été bombardée par l’aviation américaine. Les bombes ont atteint la tour de croisée,  ainsi que le bas-côté nord de la Cathédrale et ont touché les immeubles de  l’œuvre Notre-Dame près de la  place du Château et son magasin situé dans l’impasse des Trois-Gâteaux où  étaient entreposés les anciens panneaux ornementaux du triforium méridional.

Après ce bombardement, les autorités allemandes décidèrent de transférer les vitraux dans les galeries d’une mine de sel à Heilbronn en Allemagne. Le transfert par camion a eu lieu les 16 et 22 novembre 44, quelques jours avant la libération de Strasbourg par les troupes du général Leclerc de Hauteclocque.

Après la fin de la guerre, en septembre 1945, les caisses contenant les verrières ont été récupérées dans la zone d’occupation américaine en Allemagne par les autorités françaises et  ramenées à Strasbourg. Puis vers  1946 et avant leur restauration et réinstallation, les panneaux de chaque vitrail, en particulier ceux du triforium méridional, furent photographiés pour le compte de l’administration centrale du Service des Monuments Historiques par l’entreprise Taon. Les clichés correspondants sont actuellement conservés aux archives photographiques des Monuments Historiques au Fort St Léger au Bois d’Arcy. Les photographies relatives à la IVe travée du sud  y portent  les numéros MH 1947  302322 à 302345  et celles qui se rapportent à la figure de Juda les numéros MH  1947 302325 à 302327.

Certains panneaux, dont ceux du vitrail de Juda furent, après leur restauration par la Maison Ott Frères, une nouvelle fois photographiés par Riotte entre 1947 et 1950. Les clichés correspondants  non numérotés sont actuellement conservés au Service Départemental de l’Architecture du Bas-Rhin dont les bureaux se trouvent dans le Palais du Rhin à Strasbourg.
Il est à remarquer que les photographies ainsi effectuées du panneau inférieur du vitrail de Juda portent  toutes la trace du cou-de-pied gauche. Ce détail permet de conclure et d’affirmer que ce vitrail est donc toujours muni du verre original patiné de ce pied.

Vers 1950, l’année exacte n’ayant pas pu être déterminée, les vitraux restaurés du triforium furent reposés par la Maison Ott Frères. Lors de la réinstallation des vitraux des interversions se sont produites.  Mon étude comparative (publiée dans le Bulletin de la Cathédrale de Strasbourg XVIII, Strasbourg 1988) de la disposition actuelle avec la suite des ancêtres du Christ selon l’Evangile de Luc (3,23-38) conformément à la Vulgate Clémentine a permis de localiser ces interversions.  Elles affectent plus du tiers de ces vitraux. Mais (heureusement) elles ne concernent aucunement les vitraux de la IVe travée du triforium méridional et en particulier pas la position actuelle du vitrail de Juda, dont le pied gauche est à l’origine du rayon vert équinoxial.

Puis, aux alentours de l’un des équinoxes de 1971 ou plutôt de 1972, Maurice Rosart, ingénieur géomètre ENSAIS,  qui était à la recherche de curiosités optiques dans la cathédrale, a observé (pour la première fois) le phénomène équinoxial du rayon vert  sur la chaire. Il a notamment constaté qu’aux alentours de l’un des deux équinoxes annuels et   vers la  fin de la matinée,  le Christ du crucifix situé  à l’avant de la chaire était pendant une courte période de quelques   minutes éclairé par une lumière  verte. Il garda longtemps secrète sa découverte. Tout au plus la partagea-t-il avec quelques amis.  Mais, il ne la rendit publique  que le 12 juin 1984 au cours d’une conférence prononcée  à la Chambre Patronale des Industries du Bas-Rhin à Strasbourg.

Suite à cette conférence, à laquelle nous n’avons d’ailleurs pas pu assister, et après un entretien avec M. Rosart, nous avons décidé d’analyser ce phénomène lumineux pour en déterminer ses périodes de visibilité  et aussi de rechercher son origine. Dans ce but nous avons fait déterminer par Materne. Wolf, ingénieur géomètre ENSAIS (1980) en service à la CUS, la position topographique des points intervenant dans le phénomène, notamment du centre du crucifix de la chaire et de celui du pied de Juda, afin de pouvoir calculer leurs coordonnées géographiques qui sont nécessaires aux calculs des  périodes de leur ensoleillement.

Par ailleurs Maurice Rosart essaya d’avoir l’opinion d’un maître verrier au sujet de la pièce de verre qui est à l’origine du phénomène.  Il tenta aussi d’avoir une opinion aussi large que possible à son sujet et essaya d’organiser une réunion de spécialistes qui fut fixée  au 5 février 1985 en fin d’après-midi. La majeure partie des invités ne donna aucune suite  à son  invitation. L’architecte de l’Oeuvre Notre Dame s’étant excusé pour des raisons  d’indisponibilité, seul le maître verrier M. Hubert Wehr de Haguenau s’était dérangé pour examiner sur place le vitrail et le verre  qui est à l’origine du phénomène.   Un examen du vitrail a eu lieu d’une part à l’extérieur  à partir de la toiture du bas-côté sud et d’autre part à l’intérieur à partir de la galerie du triforium.  Voici le jugement du maître verrier: le verre représentant le pied gauche de Juda est un verre antique soufflé teinté de vert dans la masse et non patiné  d’origine récente. Ayant trouvé des traces de mastic blanc de vitrier et des bords de profilé de sertissage  non arrondis mais  anguleux, il a conclu que c’est sur place que le nouveau verre a été introduit dans le panneau.
Quelques années plus tard nous avons été informé que  Kader Sönmez Alemdar avait été chargé  dans le cadre d’un contrat d’étude de faire un inventaire analytique des archives relatives aux travaux effectués sur la cathédrale.  Le rapport résultant est intitulé : « Bilan des travaux  exécutés du XVe siècle à nos jours sur la Cathédrale de Strasbourg par le Service des Monuments Historiques, l’Œuvre Notre Dame et la Fabrique de la Cathédrale. Novembre 1990. »

Nous avons ainsi  appris qu’en 1969, avait été  entrepris des travaux de restauration des vitraux du triforium méridional. L’opération a fait l’objet d’un métré des travaux qui a été déposé au Archives Départementales  du Bas-Rhin sous la cote W  1118/187. Les travaux ont  concerné 28 pièces et autant de pièces peintes provenant de 6 vitraux différents portant les numéros 51 à 56. Ils ont été effectués en février 1969 et ont été réglés le 11.9.69 par la somme de 2055 francs, Cette opération a très probablement été supervisée par Fernand Guri, architecte des Bâtiments de France à cette époque, et a été effectué par Lucien Schaeffer, maître verrier, et Frédéric Bangratz, peintre sur verre, que nous avons eu l’occasion de contacter ultérieurement vers 1985. Mais ils ne se souvenaient plus de cette opération. Toutefois le maître verrier, à la vue du verre représentant le pied de Juda à cette époque-là, a conclu qu’il ne s’agissait    pas d’un travail de verrier, mais  plutôt  de celui d’un simple vitrier.

En 2010 Alain Barth de Wissembourg intéressé par les vitraux de la cathédrale a   effectué  plusieurs   recherches  photographiques, en particulier sur les vitraux du  triforium  dont  l’un  est  à  l’origine   du phénomène du rayon vert. Il a ainsi eu l’occasion de photographier la fenestrelle de Juda et le cliché correspondant fait apparaître le numéro 54  tracé à la craie grasse sur le genou droit du  personnage.

Donc, ce vitrail a, en 1969, effectivement  fait  l’objet d’une restauration, qui, elle aussi, a  dû être contrôlée par l’architecte des Bâtiments de France avant le règlement de la facture correspondante. Ce vitrail était donc à ce moment très probablement encore équipé du verre patiné d’origine du pied gauche de Juda.

On peut donc en conclure, que c’est entre le début de l’année 1969 et de le fin de l’année 1971 ou 1972, période pendant laquelle Maurice Rosart  a   découvert le phénomène du rayon vert,  que le verre d’origine du pied  gauche a été remplacé in situ par un verre de couleur verte et non patiné.

Il en résulte tout un ensemble de questions dont il s’agit de trouver les  réponses pour résoudre l’énigme de l’origine du rayon vert. Pour quelle raison le verre d’origine a-t-il été remplacé ? A-t-il été cassé ? Quel est le verrier ou plutôt  « le vitrier » qui a procédé à ce remplacement ? Comment ce vitrier a-t-il pu disposer des clefs nécessaires pour accéder à la galerie du triforium ? Qui a réglé les frais de cette intervention ? Les réponses on les trouvera peut-être  dans les comptes du conseil de fabrique.
Aussi avons-nous contacté le 15.5.15 l’intendant de la fabrique de la cathédrale, Patrick Fuchs, en lui demandant de bien vouloir faire effectuer les recherches nécessaires dans les archives comptables. Le 8.6.15, il nous a fait savoir que l’on n’y a trouvé aucune trace d’une telle intervention. Mais, il pense qu’il est possible que  ce soit l’Etat qui  a pris en charge  ces travaux.
  
Toutefois un mystère subsistera : c’est celui de l’attitude de la figure de Juda  conçue  vers 1870 par le réalisateur  du carton du vitrail, Louis Steinheil.  En effet, ce personnage est le seul des 76 ancêtres du Christ  figurant au triforium  qui porte ostensiblement son regard vers le médaillon  circulaire  du vitrail pouvant représenter le soleil et, comme s’il voulait attirer l’attention du visiteur, soulève légèrement sa robe de la main gauche pour bien dégager le pied gauche, qui est à l’origine du rayon vert .et qu’il montre avec l’index de la main droite.

C’est pourquoi Maurice  Rosart, le découvreur du rayon vert, pense que le phénomène de la lumière verte de la cathédrale de Strasbourg est dû à une intention bien précise du dessinateur du carton du vitrail ou de quelqu’un  de son entourage, par exemple l’architecte de l’Œuvre Notre-Dame* qui dirigeait les travaux  et qui était  membre  de la loge « Les Frères Réunis » du Grand Orient de France à Strasbourg. 

*(Voir à ce sujet :     http://rosartnove.blogspot.fr/2013/03/a-loccasion-du-millenaire-des.html   )                                                                      
      07/01/2016   L.TSCHAEN.  


 Évolution des vitraux du triforium méridional








           

          







      

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